Au terme d’une édition haletante des Total 24 Hours of Spa, vous avez été nombreux à vous manifester sur la page Facebook de Speed Action TV.be, ou à nous envoyer un mail pour nous faire part de vos craintes suite aux différents incidents et accidents ayant émaillé la 70ème édition du double tour d’horloge. Très souvent, c’est le légendaire Raidillon qui était au centre des conversations, supputations et autres interrogations.
Un peu comme si le public venait de se rendre compte de la dangerosité inhérente à ce virage unique en son genre. La question revenant le plus souvent était : que faire pour éviter ce drame qu’on a bien failli vivre sur le coup de 3 heures du matin dans la nuit de samedi à dimanche ? Notre réponse : rien, ou si peu. Explications.
Motorsport reste dangerous
Avant tout, le sport automobile reste une activité comportant une part de risques. Part qui a été réduite au fil des décennies. Désormais, on ne meurt plus tous les week-ends de course, et les pilotes passant à travers les saisons ne sont plus des ‘rescapés’, comme Jacky Ickx a pu l’être, pour ne prendre que ce célèbre exemple. Il n’empêche, dès l’instant où on décide de placarder des numéros sur les flancs d’automobiles en promettant une coupe au plus rapide, le risque zéro n’existe pas, et il n’existera jamais.
Certains d’entre vous ont commenté que le destin et la fatalité passeraient mal dans les médias et auprès du public de nos jours. Ok, mais de quels médias parle-t-on ? De ceux qui ont joué les charognards après le crash en Lamborghini Super Trofeo samedi matin, comptant vendre du papier ou susciter du clic sur le dos de commissaires à terre ? Sans intérêt… Du moins en ce qui nous concerne. Ces mêmes ‘médias’ seront d’ailleurs sur le qui-vive le week-end du Rallye du Condroz, à l’affût du moindre fait de course scabreux. On a l’habitude, cela n’émeut plus que ceux qui ne connaissent rien à la chose sportive automobile…
Car n’oublions pas une donnée essentielle : personne n’oblige un homme ou une femme à enfiler casque et combi et à prendre part à une course automobile. Ceux et celles qui se retrouvent sur une grille de départ savent qu’à tout moment, leur loisir ou leur métier peut prendre une tournure désagréable. Ce danger inhérent au sport auto en constitue d’ailleurs – en partie sans doute – le sel. Jouer les équilibristes à 250 km/h provoque des sensations, de terribles poussées d’adrénaline, précisément ce que certains recherchent. Alors bien sûr, tout accident grave est regrettable, tout doit être mis en œuvre pour en éviter des conséquences dramatiques et fatales, mais jamais au grand jamais le sport auto ne sera aussi ‘safe’ que le billard à trois bandes. Si un jour des esprits malins y parviennent, la passion générée par la course automobile aura sans doute vécu…
The Magic Race
Certains commentaires pointent aussi du doigt l’évolution des Total 24 Hours of Spa, épreuve devenue un sprint de deux tours d’horloge orchestré par d’innombrables pilotes professionnels qui n’ont pas l’habitude de faire dans la concession ou la demi-mesure. On ne va tout de même pas reprocher à SRO d’avoir rendu ses lettres de noblesse à une épreuve devenue la plus grande course de GT au monde ? Si certains internautes se souviennent avec nostalgie de l’époque où Peugeot 306 et BMW 320 proches de la série s’affrontaient pour la gagne, qu’ils sachent que chez nous, ce genre de duel et ce type de voiture ne provoquaient aucune ‘érection’ particulière. A l’époque, l’ennui était profond et généralisé, les 24 Heures de Spa étaient sur un pied d’égalité avec les 24 Heures de Zolder, et leur disparition programmée.
Gloire à Stéphane Ratel, qui a déboulé dans nos Ardennes avec ses puissantes et turbulentes GT, avec le résultat que l’on sait.
Aujourd’hui, les Total 24 Hours of Spa sont devenues une course exceptionnelle d’intensité, plus encore que les 24 Heures du Mans en raison du faible écart de performances entre toutes les voitures en piste. Merci à la Balance de Performance, quitte à en faire hurler certains. On les entend déjà…
Voir des équipes de premier plan et des pilotes professionnels se battre à coups de dixièmes de seconde, en sachant que la moindre erreur peut les priver de victoire ou de podium, constater qu’une poignée de secondes sépare désormais les premiers au passage du drapeau à damier au bout de deux tours d’horloge, que six marques différentes terminent dans le top 10, on trouve ça juste excitant ! Très excitant, même… A tel point que seules les Total 24 Hours of Spa méritent aujourd’hui le titre de ‘Bataille des Ardennes motorisée’. C’est du moins notre avis.
Don’t touch !
Mais revenons-en au sujet initial de cet article : le Raidillon. Courbe incroyablement rapide qui fait davantage rêver avec des GT3 qu’avec des F1 ou des protos LMP1. Alors certes, tout n’est pas parfait, et l’évolution du Circuit de Spa-Francorchamps, ‘le plus beau du monde’, a compliqué certaines choses. Merci d’ailleurs au grand cirque de la F1 et ses normes qui lavent plus blanc que blanc pour avoir fait naître sur tous les circuits, Francorchamps inclus, ces zones de dégagement asphaltées que les pilotes prennent un malin plaisir à souvent fréquenter afin de gagner du temps. Le haut du Raidillon mérite d’ailleurs l’appellation officielle de ‘Track Limits Corner’, tant le nombre de bolides coupant la trajectoire au sommet est important. Il ne nous revient pas de trouver des solutions à ce problème, dont on connaît parfaitement l’origine. On ne peut par contre que rendre hommage aux Directeurs de Course et à leurs adjoints qui s’arrachent les cheveux de week-end en weekend face à cette problématique.
En fait, la seule chose qui doit pour nous être encore améliorée, c’est la protection des intervenants en cas d’incident ou d’accident. Entendez par là les commissaires de piste et les membres des différentes équipes d’intervention. Qu’un pilote se tue dans le Raidillon, c’est regrettable et dramatique. Qu’un commissaire y laisse sa peau en étant percuté par un bolide en perdition ou des morceaux de celui-ci, c’est inacceptable. Il convient dès lors de sans cesse améliorer la protection de ces ‘anges gardiens’ de nos courses, en les isolant davantage d’éventuels débris ou objets volant inattendus. Idem pour d’autres endroits du circuit, comme le crash en Lamborghini Super Trofeo est venu nous le rappeler avec une rare violence. Il est difficilement acceptable qu’un poste de commissaires soit aux premières loges en cas de souci à haute vitesse. A méditer par les responsables de la sécurité du circuit.
Pour le reste, notre avis est que Spa-Francorchamps a déjà été assez dénaturé par l’évolution du sport auto – pardon, de la F1 – et qu’il est grand temps de ne pas pousser le bouchon plus loin. Le jour où tout ce qui fait le charme, le piment, le sex appeal de Francorchamps aura disparu, pensez-vous que les Anglais et les autres s’y presseront encore en nombre pour y brûler la gomme de leurs bolides ? Les Allemands se posent-ils tous les jours mille et une questions sur la dangerosité de la Nordschleife ? Pas sûr… Au risque de se répéter, personne n’est obligé d’ailler rouler sur ces circuits de caractère à l’histoire prestigieuse, même si souvent dramatique.
Drivers are not Gamers
Gagner une course à Spa-Francorchamps doit rester une performance, quelque-chose de magique, d’exceptionnel. Cela doit donner l’impression que le gagnant a vaincu les éléments, qu’il est venu à bout d’une piste sans la moindre concession, où les vitesses atteintes sont importantes, ou les virages sont à couper le souffle, où la météo peut être terrible, où la raison n’a sans doute pas rendez-vous.
Alors de grâce, même si nous vivons à une époque où l’homme se donne l’impression qu’il peut maîtriser tous les dangers, foutez une paix royale au Raidillon, et par extension au Circuit de Spa-Francorchamps. Cette bande d’asphalte de 7 kilomètres de long fait rêver des milliers de pilotes prêts à prendre des risques pour y performer. Quant aux autres, on leur conseille l’e-sport, c’est encore moins dangereux que ces pistes sans âme – a fortiori sans passé et sans doute sans avenir – qui ont fleuri partout dans le monde durant les dix dernières années.
Vive le sport auto au sens le plus pur du terme. Celui qui est synonyme de passion, et moins de raison. Et vive Spa-Francorchamps et son Raidillon… (Vincent Franssen / Photo Letihon.be)