A l’aube d’un week-end une fois encore bien pauvre en sport automobile, Speed Action reprend le cours de ses interviews dans le cadre de la rubrique ‘C’est quand qu’on va où ?’ Et c’est un pilote qui fait cette fois le point sur la situation du sport auto en ces temps troublés. Pas n’importe lequel, puisque crise sanitaire oblige, Adrian Fernémont reste le dernier Champion de Belgique des Rallyes en date. Un titre conquis en 2019.
Comme bien d’autres, Fernémont a connu une année sportive 2020 assez calme, disputant seulement deux rallyes non sans remporter la victoire en ‘BRC’ au terme de l’Aarova Rally à Audenarde. "Une telle saison aussi peu fournie n’a pas que des désavantages, sourit d’entrée de jeu Adrian. Avec seulement deux courses disputées, j’ai pu conserver des liquidités en vue de la saison 2021. Et puis, d’un point de vue familial, c’était top ! Cela fait dix ans que je consacre énormément de temps et d’énergie au sport auto, et là, j’ai pu passer du temps avec mes deux filles en bas âge. Il a fallu changer les habitudes, mais ce n’était pas déplaisant, d’autant que professionnellement, mon job au service maintenance de la SNCB n’a pas souffert de la crise sanitaire…"
D’un point de vue sportif, le son de cloche est passablement différent… "Ah ça, les prochains mois vont être compliqués, c’est sûr !, poursuit le Champion de Belgique. A dire vrai, je me vois assez mal téléphoner à certains de mes partenaires habituels pour leur demander de nouveaux efforts. Prenons l’exemple de cette bijouterie située dans le village où je suis né. Elle est restée fermée plusieurs mois, et je n’imagine pas vraiment ses responsables prêts à m’aider davantage. Une situation qui perdurera encore de nombreux mois, je le crains…"
Portant fièrement les couleurs de SAN Mazuin, Adrian Fernémont est Namurois et fier de l’être. Son épreuve à domicile, c’est le Rallye de Wallonie. Qui aura lieu en mai… ou en octobre, selon l’évolution des restrictions sanitaires, les décisions et non-décisions du Comité de Concertation. "J’espère que l’épreuve pourra conserver sa date habituelle, mais à dire vrai, j’ai un peu peur que ça ne soit pas le cas. Les organisateurs ont besoin de leur première soirée de prestige sur l’esplanade de la Citadelle de Namur, où plusieurs milliers de personnes se rassemblent. Cela sera-t-il possible dans un mois et demi ? J’en doute…"
Trop is te veel !
Un Rallye de Wallonie qui est l’une des… 10 manches du Kroon-Oil Belgian Rally Championship 2021. Et là, Fernémont devient d’un coup d’un seul plus sérieux… "C’est juste impossible comme calendrier ! Qui sera réellement en mesure de disputer trois rallyes en un mois ? Personnellement, et je ne suis pas seul dans le cas, je ne peux pas prendre chaque mois dix jours de congé ! Les promoteurs du BRC avaient réalisé un sondage auprès des pilotes et des teams. La tendance était clairement à une diminution du nombre d’épreuves. Résultat : on a porté leur nombre à 10 ! Avec 6 résultats entrant en ligne de compte. Certes, les promoteurs du BRC sont en négociation avec les marques de pneus afin d’aboutir à un manufacturier unique qui sera synonyme d’économie pour tous. Mais pour 3000 euros épargnés, on va en dépenser 50.000 de plus afin de disputer le nombre de rallyes suffisants pour engranger 6 résultats de qualité, du moins si on veut prétendre au titre. Pour des gars comme Cédric Cherain, Sébastien Bedoret et même Kris Princen, la situation est la même que pour moi : un tel calendrier est intenable. Cela signifie que pour décrocher le titre en 2021, il faudra disposer de gros budgets et avoir beaucoup de temps à consacrer au rallye ! Celui qui aura les moyens de disputer les 10 épreuves pourra se permettre d’abandonner une fois deux fois, de signer quelques podiums et l’une ou l’autre place d’honneur, et au final, il aura le titre ! Actuellement, je travaille afin de pouvoir prendre part à 8 épreuves, mais la crise économique ne fait que commencer, et un tel calendrier n’est pas en phase avec la situation actuelle. Qui sera réellement au départ du Spa Rally en décembre ? Certains n’auront clairement plus de budget, et d’autres, qui ne pourront plus jouer le titre, auront sans doute jeté le gant. D’autant que le Condroz aura eu lieu un peu avant. Personnellement, je vais accumuler les épreuves en début de championnat, puis je ferai le point…"
Comme d’autres pilotes non-professionnels, Fernémont plaide pour un retour à davantage de raison. "7 rallyes, 5 résultats pris en compte, ça, c’est un calendrier viable. Cela signifie que les bons pilotes vont s’affronter en permanence, et non s’éviter en renonçant à certaines épreuves. On avait parlé de 9 rallyes pour 8 résultats. Pour nous, c’était trop ! Résultat : on se retrouve avec 10 rallyes en 6 mois ! Personnellement, je dis que c’est beaucoup trop ! On ne nous écoute tout simplement pas…"
Sécurité avant tout !
Autre sujet qui tient à cœur d’Adrian : la sécurité sur les épreuves… "Comme tout le monde le sait, j’ai eu un accident grave lors des Legend Boucles @ Bastogne, poursuit Fernémont. Et je peste plus que jamais sur le public mal placé en spéciale. A Audenarde, il y avait peu de monde, vu les circonstances sanitaires, et les pilotes ont été en mesure de se donner à fond. Avec Ghislain de Mévius, on a demandé au promoteur et au RACB d’organiser une réunion visant à trouver les moyens de conscientiser davantage le public sur les épreuves. Elle devait avoir lieu avant le Spa Rally 2020, mais avec tous les événements liés à la crise sanitaire, rien n’a eu lieu. Mais je ne veux pas lâcher l’affaire : il est urgent d’organiser un groupe de travail avant la reprise du championnat, où les spectateurs risquent d’être plus nombreux que jamais, tant ils sont en manque ! Avec d’autres pilotes, nous devons nous mettre d’accord et ne pas hésiter à nous arrêter lorsque la situation est inacceptable ! Il faut faire comprendre à certains que s’ils privilégient des endroits dangereux, nous, on met pied à terre et on arrête de rouler ! C’est essentiel…"
Si Adrian Fernémont et Samuel Maillen remettront le couvert au volant de la Skoda Fabia R5 SAN Mazuin, plus que probablement en compagnie de Racing Technology ("Quelques détails restent à régler, mais c’est la direction que ça prend…"), c’est pour chasser une nouvelle couronne nationale. "Nous allons porter le numéro #1, ce sera à nous de faire le job ! A Audenarde, je ne connaissais pas le parcours, et nous avons gagné. Je pense que notre technique d’approche des rallyes et de gestion d’un championnat est bonne. Certains parcours me conviennent mieux que d’autres, l’essentiel étant d’engranger un maximum de points selon les conditions. Par contre, nous ne serons pas au départ d’Ypres en WRC. Financièrement, c’est injouable dès l’instant où on donne la priorité au BRC, et en plus, je ne serai pas disponible à ce moment-là. Les épreuves du Championnat du Monde, j’y pense, bien évidemment, mais ce sera sans doute pour plus tard. Mes partenaires sont essentiellement régionaux, et je ne suis pas certain qu’ils tireraient plus de bénéfice à me voir rouler au Monte-Carlo. Mais c’est tentant et excitant, c’est certain…"
Les coûts, du délire !
D’autant que le sport auto en général, et le rallye en particulier, cela coûte de plus en plus d’argent… "C’est complètement du délire !, s’insurge Adrian. Un pneu est vendu 400 euros, alors que sa fabrication doit en couter une centaine ! Il est urgent de trouver des solutions… Je n’ai jamais financé moi-même mes participations, mais à l’avenir, il faut craindre des coupes dans certains budgets ! Je ne me fais pas d’illusion : mes partenaires ont parfois d’autres chats à fouetter, surtout vu la situation économique actuelle. Et il ne faut pas attendre grand-chose des importateurs. Après le titre au Condroz, Skoda Belgique nous a aidés à organiser une réception pour tous les partenaires. On est très loin de la période où Peugeot Belgique sortait plusieurs centaines de milliers d’euros pour aider Thierry Neuville ! Nos voitures de rallye ne sont pas encore hybrides, ce qui peut expliquer la timidité des aides accordées. Pour un importateur, il est difficile de faire passer un soutien important dans ces conditions."
En dépit des tarifs pratiqués, force est de reconnaitre que le Kroon-Oil Belgian Rally Championship a le vent en poupe ! "Et dans un premier temps, ce sera encore le cas en 2021, reprend Fernémont. Certains n’ont plus roulé depuis longtemps, d’autres se sont tirés à leur avantage de cette crise. Il n’empêche, les tarifs sont devenus réellement déraisonnables. Pneus, essence, c’est juste la folie ! Je sais que la FIA travaille à une diminution des coûts, mais il ne faut plus tarder… Pour le reste, notre championnat fonctionne bien, en effet. La diversité des parcours, la qualité des concurrents, le sérieux des organisateurs, tout y contribue. Oh, remporter le titre de Champion de Belgique des Rallyes n’a pas fondamentalement changé ma vie, et la notion essentielle reste le plaisir, mais on a passé un step, c’est certain ! Récemment, je faisais le plein de carburant dans une station en Flandre, et un passionné est venu me demander de faire un selfie avec lui ! Sympa… Mais pas de quoi changer un homme. Le vendredi, je vais toujours prendre une bière à l’atelier avec les potes. Je suis resté le même, heureusement ! (Rire)"
Y croire, toujours…
Ultime thème de ce sympathique moment en compagnie d’Adrian : les jeunes ! "Il m’arrive en effet de recevoir des messages me demandant comment faire pour pratiquer le rallye au niveau qui est le nôtre. Ma réponse est claire : faire preuve de motivation ! Avoir une foi qui déplace les montagnes, même quand les coups durs s’accumulent. Il faut s’entourer des bonnes personnes, éviter d’autres personnes qui sont juste là pour profiter de vous, et toujours y croire. Moi aussi, j’en ai bavé ! J’ai parfois pris ma bagnole le matin pour partir à la recherche de partenaires, et finalement rentrer le soir avec zéro euro, et du carburant dépensé pour rien ! Une fois qu’on roule, il faut apprendre à ne pas prendre tous les risques, apprendre à ne pas casser les autos. Aujourd’hui encore, nous roulons avec des bolides qu’il est préférable de ne pas détruire. Il faut donc être consistant, constant, bref, réfléchir. Je suis parti de rien, je n’ai jamais été soutenu par un importateur, et pourtant, je suis devenu Champion de Belgique. C’est donc possible…"
Voilà, tout est dit. Reste maintenant à retrouver Adrian Fernémont et Samuel Maillen sur les spéciales, à l’assaut du chrono. Le plus vite possible… (Vincent Franssen)