Invité de prestige du 19ème International Motor Show Luxembourg, Jean-Claude Andruet, 76 printemps au compteur, triple vainqueur en Championnat du Monde (Monte-Carlo '73, Corse '74 et San Remo '77) pète la forme. Prendre le temps d'une conversation à bâtons rompus avec lui reste un vrai plaisir. Car au fil du temps, le caractère du gaillard et sa gouaille sont restés intacts. Morceaux choisis, selon les thèmes que nous lui avons proposés...
Le sport auto actuel ?
La Formule 1, cela fait 10 ans que je ne regarde plus. Ca m'endort ! La réglementation de la discipline est mauvaise, ne favorisant pas assez le spectacle. C'est du reste le cas de bien des championnats. Pourquoi ? Les dirigeants actuels sont d'abord intéressés par le pouvoir et l'argent. Ils pondent des règlements bêtement compliqués. C'est bien simple, si j'étais jeune aujourd'hui, je ne me lancerais pas dans une carrière de pilote... Fédérations et marchands du sport auto sont complices. Or pour moi, quand on reçoit un mandat pour gérer quelque chose, on doit être incorruptible. Malgré ces désagréments, la passion est là. Preuve que le sport auto reste quelque chose de ludique pour l'homme.
Le succès grandissant des courses pour véhicules électriques ?
C'est bien simple, il y a... 35 ans, j'ai été le premier à parler compétition pour des véhicules électriques en France. J'ai déposé plusieurs brevets, on m'en a volé certains, et au niveau des fédérations, on n'a rien compris ! On a créé des rallyes lors desquels on voulait mettre l'accent sur l'autonomie maximum. Résultat : ça ressemblait à des courses d'escargots... ce qui n'était pas une bonne pub. Cela dit, cette évolution vers l'électrique est inéluctable. Je n'ai pas assisté à la moindre course de Formula E, mais je suis impressionné par les performances de ces voitures. Le seul souci, c'est le bruit ! Il s'agit d'un élément important en sport auto, et il faut s'en préoccuper. Une auto de course qui ne fait pas de bruit, ce n'est pas une auto de course...
La domination des pilotes français en rallye ?
La France a toujours constitué une bonne pépinière de pilotes de qualité. Ce qui a favorisé l'émergence de garçons comme Sébastien Loeb et Sébastien Ogier. Mais attention à l'évolution de ce sport. A l'époque où je disputais le Rallye de Monte-Carlo, une quarantaine de pilotes pouvaient espérer l'emporter. Maintenant, ils sont encore 5 ou 6. Ce qui signifie qu'un pilote doué qui possède une bonne auto pour non seulement espérer gagner, mais aussi gagner plusieurs années d'affilée et exercer une hégémonie. C'est exactement ce qui se passe depuis pas mal de temps. Il m'arrive d'aller me poster en bord de spéciales au Monte-Carlo. Cela va vite, certes, mais je ne suis pas impressionné. Certaines parties de spéciales qui exigeaient une bonne dose de bravoure ont été abandonnées, les routes ont souvent été élargies, etc. Proportionnellement, je ne suis pas sûr qu'on aille beaucoup plus vite maintenant...
Les rallyes dans les années '70 ?
Il s'agissait d'une période dorée, incontestablement. Une époque de liberté. On prenait le temps d'échanger avec la population. C'est la raison pour laquelle avec Jean Ragnotti, Jean-Luc Thérier et d'autres, nous étions si populaires. Et que nous avons encore autant de supporters aujourd'hui. Echanger avec les gens, cela faisait partie du sport. Maintenant, le monde est fou, on ne prend plus le temps de rien, tout doit aller très vite, et hop, on passe à autre chose.
La période Alpine en championnat du monde ?
En fait, je n'en conserve pas un excellent souvenir. A l'époque, j'ai exercé jusqu'à 7 activités professionnelles... en même temps ! Cela m'empêchait de réellement jouer au pilote professionnel. Je pense que j'étais jalousé... En 1972, j'ai décidé de montrer de quoi j'étais capable. J'ai pris part à 10 rallyes... que j'ai tous remportés ! J'ai enchaîné avec la victoire au Monte-Carlo '73. Et vous savez quoi ? Alpine me payait trois fois moins que Nicolas, Thérier ou Ragnotti. C'était invivable. Ils ne me prenaient pas au sérieux. Raison pour laquelle je n'ai pas insisté...
La meilleure voiture de rallye ?
Il y en a deux qui ont incontestablement marqué ma carrière. A commencer par la Berlinette Alpine, synonyme de plaisir pur côté pilotage. Mais la meilleure de toutes, c'était la Lancia 037, synthèse parfaite d'efficacité, de performances et de bonheur au volant...
Le Groupe B ?
Plutôt que la naissance du Groupe B, c'est la mort du Groupe 4 qui m'a profondément marqué. Cela m'a coûté ma place chez Ferrari ! Jean-Marie Ballestre, qui était le responsable de la FISA à l'époque, n'avait juste rien compris à la situation. En autorisant les tractions intégrales, il a tout gâché. Comme les deux roues motrices n'étaient plus assez compétitives, il a autorisé des jantes plus larges... en oubliant qu'un rallye du championnat du monde se déroulait sur asphalte. Résultat : en Corse, les voitures ont gagné 20% de vitesse dans les courbes. Ce qui a coûté la vie à Attilio Bettega. Avec des pneus froids, il est arrivé plus vite dans un virage, et il a percuté un arbre de plein fouet. Je tiens Jean-Marie Ballestre pour responsable de la mort du pilote italien. Aujourd'hui encore, les règlements sont pondus en dépit du bon sens. Regardez ce qui se passe avec les harnais de sécurité, les baquets, etc. Il faut les remplacer très régulièrement... même sur les autos qui roulent peu. On voit bien que les personnes qui pondent ces règlements ne sont pas celles qui paient pour rouler. On me prend parfois pour un ayatollah du sport auto, mais à 76 ans, ces choses continuent de m'énerver...
Voilà... Le bonheur avec un personnage tel que Jean-Claude Andruet, c'est que l'échange peut durer des heures, et que la langue de bois, il n'a jamais connu et ne connaitra jamais. Chacun peut en penser ce qu'il veut. Il s'en fout.
Au moment de prendre congé, il lance : "Quand tu vas au Mans, téléphone-moi, il y a toujours une chambre libre à la maison. J'habite à 50 kilomètres du circuit..."
What else ? (Vincent Franssen / Photo P.O.M. Clementz)