Ce mercredi en début de soirée, les Test Days des TotalEnergies 24 Hours of Spa 2022 se sont clôturés. Si le plateau du double tour d’horloge ardennais a bien sûr suscité de nombreux commentaires depuis hier matin, que dire alors des ‘Track Limits’ et autres bacs à graviers qui défraient régulièrement la chronique ? Le débat est bien sûr éternel, voire sempiternel. Mais qu’on le veuille ou non, l’évolution du Circuit de Spa-Francorchamps continue de ne pas faire l’unanimité. Ce qui a incité Speed Action à questionner plusieurs directeurs de course. Morceaux choisis…
L'avis de Pierre Delettre : « On n’a rien résolu ! »
Directeur de course de la Porsche Carrera Cup Benelux et du Belcar Endurance Championship – entre autres – et organisateur de Spa Euro Race et du Racing Festival sous la houlette du Royal Automobile Club de Spa, Pierre Delettre met d’emblée en exergue les deux endroits qui sont régulièrement pointés du doigt depuis le lancement de la saison sportive 2022.
"En fait, concernant les Track Limits, on n’a rien résolu, explique Pierre. Le Raidillon, l’entrée et la sortie du poste 17 – deuxième gauche de Blanchimont –, et le poste 19 – sortie de la Chicane - posent réellement problème. En fait, on n’en sort pas ! Si on veut faire preuve d’intransigeance, on peut arriver à plus de 100 infractions en une demi-heure ! Ce qui signifie qu’à la fin, on ne fait plus que ça ! Lors du FIA WEC, on a bénéficié de la boucle de détection du chronométreur Al Kamel, qui est très efficace. Mais tout cela a un coût important… Spa-Francorchamps fait partie des circuits qui se distinguent dans le mauvais sens au niveau des dépassements des limites de la piste, à la manière d’Assen, du Red Bull Ring et de Valencia. Ces pistes réclament un équipement le plus efficace possible, et une personne à la Direction de Course qui ne s’occupe que de ça. Je sors d’un week-end de course à Zandvoort, où je gérais l’Eurocup Clio. Et bien, nous n’avons pas eu un seul souci de tout le meeting ! Là-bas, si le pilote élargit sa trajectoire, il est d’office dans le bac ! Résultat : tout le monde reste sur la piste… Concernant le Raidillon, c’est clairement pire qu’avant ! Ce virage est désormais encore plus large au sommet, ce qui ouvre la porte à toutes les exagérations… Pour moi, pas le choix, il faut sévir et punir, mais au bout du compte, vous passez pour le grand méchant et cela fout une ambiance de merde dans le meeting. Pas simple…"
Si les Test-Days des 24 Hours of Spa ont vu plusieurs bolides être victimes de crevaisons en flirtant avec les bacs à graviers, sans parler des projections de cailloux qui ont été jusqu’à endommager des pare-brise de véhicules… sur les voies de service (!), Pierre Delettre avoue être surpris : "Avec la Porsche Carrera Cup Benelux le week-end du WEC, nous n’avons pas été confrontés à ce genre de problème. C’est peut-être inhérent au GT3, ou au nombre élevé de voitures en piste…"
L’avis de Laurent Voogt : « D’emblée sévir, afin de calmer les esprits… »
Directeur de Course des 25 Heures VW Fun Cup, Laurent Voogt a déjà géré les coccinelles de course lors du Franco Fun Festival cette saison. "Nous travaillons avec une boucle au sommet du Raidillon, et cela fonctionne très bien. Dans Blanchimont, c’est moins évident et plus aléatoire, je l’avoue. Dès les premiers essais, lorsqu’il est avéré que le pilote est au-delà des limites de la piste, on l’arrête, on lui explique, et la situation s’améliore clairement au fur et à mesure du week-end. Mais bon, au final, on ne fait plus que ça, et le temps passé à gérer les Track Limits, on ne le consacre plus à autre-chose. Ce qui est regrettable… L’un des soucis de SRO, c’est de fixer les systèmes avec GPS qui permettent de détecter d’emblée les passages au-delà des limites de la piste. Ces GT sont toutes différentes, ce qui signifie un emplacement différent, et cela complique tout."
Pour Laurent Voogt, il est important d’établir des règles claires : "Il faut que les pilotes soient mis au parfum. Lors d’une Qualification, tout dépassement des limites entraîne systématiquement la suppression du chrono réalisé. En course, il y a davantage de nuances. Cela dépend en fait du nombre d’infractions commises par les pilotes. S’il y en a trois en cinq tours, on décide de pénaliser sous forme de ‘Warning’. Si le phénomène persiste, on passe au Stop & Go, voire au(x) tour(s) de pénalité."
Concernant le Raidillon, Laurent Voogt est plus cinglant… "Il y a désormais une largeur de 35 mètres au sommet ! On nous avait parlé d’un bac à graviers, il n’est jamais apparu. Il est illusoire de croire qu’on parviendra à trouver des solutions qui sont à la fois bonnes pour la moto et l’auto."
Quant aux bacs à graviers, Voogt fait partie de ceux qui les ont bien connus par le passé… "Là, SRO est apparemment confronté à une nouvelle donne, avec le bord des bacs à graviers qui se creuse au passage répété des bolides. On parle de trous de 12 centimètres de profondeur ! Et cela, ce n’était pas prévu… Pour le reste, aux 25 Heures Fun Cup, on palie la présence de ces bacs à graviers en multipliant les véhicules d’intervention. Il y a 6 grues de type JCB, 6 dépanneuses, et plusieurs autres véhicules. C’est désormais incontournable…"
L’avis de Marc Duez : « La moto a pris le pas sur l’auto ! »
Directeur de Course dans le cadre du Grand Prix Historique et du Grand Prix F1 de Monaco, Marc Duez fait clairement partie de ceux qui ont un avis tranché sur la problématique Francorchamps. "Les travaux réalisés l’hiver dernier l’ont été de maîtresse façon, entame Duez. Mais d’un point de vue sportif, on n’a tout simplement pas consulté les bonnes personnes. La multiplication des bacs à graviers, c’est juste pour la moto. Ce qui signifie que le sport auto a été négligé. Quitte à remettre des bacs partout, il aurait systématiquement fallu intégrer une bande d’asphalte de 2 à 3 mètres entre le vibreur et le bac proprement dit. Or, là, on se retrouve régulièrement avec des voitures dans les bacs à graviers, ce qui entraîne des neutralisations via Safety Car ou Virtual Safety Car, voire des interruptions de la course. Avec le retour de ces bacs à graviers partout, on multiplie aussi les risques de projections de pierres dans les pare-brise ou les calandres des voitures de course. C’est inutile…"
Quant au Raidillon, comme il a déjà eu l’occasion de le dire, Marc Duez regrette que rien n’a changé… "On reste à la merci du moindre tête-à-queue ou accrochage qui va surprendre le concurrent suivant, avec ce que cela peut entraîner comme dommages. Rien n’a été modifié, en fait. Pire, on a tout élargi, sans toucher à la courbe, de nouveau pour plaire aux motos. On en arrive à la conclusion que les bagnoles sont mal considérées…"
L’avis de Philippe Godet : « Moins catastrophique qu’avant ! »
Directeur de Course du GT Open le week-end dernier, Philippe Godet voit les choses de façon plus nuancée… "Pour moi, dans cette configuration, c’est moins catastrophique qu’avant ! En fait, où reste-t-il des problèmes ? A la Source (T1) au moment du départ, dans le Raidillon (T4) et à la sortie de la Chicane (T19). Et tous ces problèmes sont inhérents… aux pilotes ! Mieux, quand on analyse les numéros des voitures qui passent au-delà des limites de la piste, on s’aperçoit que ce sont rarement des pilotes de pointe qui sont pris pour Track Limits ! Les pros, en règle générale, ils apprécient le retour des bacs à graviers, car cela signifie que toute erreur se paye désormais cash ! Les pilotes de moindre niveau n’ont par contre plus la possibilité de couper comme ils le faisaient encore dans un passé récent à travers tout."
Et puis, il y a la règle et l’application de la règle… "Cela dépend en effet des dérogations accordées par certains Directeurs de Course. Qui n’appréhendent pas les Track Limits de la même manière. Or, si tout le monde appliquait le même règlement de la même manière, on n’en serait pas là. Et tout serait plus simple. Mais dans certaines compétitions TCR, par exemple, ce qui est considéré comme une limite acceptable ne l’est pas dans une autre série. Difficile de s’y retrouver dans de telles conditions."
Philippe Godet met également en évidence les différences entre les types de bolides sur le circuit… "Le week-end dernier, avec les 36 monoplaces de la F4 Italia, il n’y a pas eu de problème ! Et pourtant, ce sont des jeunes loups de 15 ou 16 ans, très fougueux. Mais ils sont bien encadrés, dès qu’un problème surgit, il y a discussion, et surtout, ces pilotes de monoplaces n’ont pas grand-chose à gagner à dépasser les limites de la piste. Par contre, avec les GT, cela semble plus compliqué. On l’a vu avec le GT Open, les pénalités ont été plus nombreuses, tout comme les passages à travers les bacs à graviers. Au risque d’insister, le Directeur de Course n’est pas là pour pénaliser. Le vrai problème, c’est le comportement du pilote…"
On le voit, les commentaires sont variés, et la solution miracle n’existe pas. Reste maintenant à envisager ce qui sera mis en œuvre pour éviter que les TotalEnergies 24 Hours of Spa 2022 ne deviennent une simple accumulation de pénalités pour Track Limits ou de neutralisations pour libérer des voitures prisonnières des bacs à graviers. Suite au prochain épisode… (Vincent Franssen / Photos Cédric Delfosse)